dimanche 26 octobre 2014

Rimbaud épinglé


Amusant et instructif chassé-croisé dans l'émission Boomerang, sur France-Inter, le 21 octobre. Augustin Trapenard y recevait Patty Smith, et il fut bien sûr question d'Arthur Rimbaud, mais aussi de son image. 

En podcast ici :   Patti Smith, glaneuse de rêves 




Augustin TRAPENARD : 

Vous vous souvenez, il y a trois ans et demi, quand le monde entier s’est réveillé avec une photo inédite de Rimbaud, une photo jaunie prise à Aden, on le voyait assis, la trentaine, moustache et cheveux courts, sur le perron de l’Hôtel de l’Univers, il était pas bien beau, il avait l’air ahuri, un peu nigaud, on ne voulait pas y croire. C’est trop déstabilisant, une photo de Rimbaud. Parce que la photo, ça saisit, ça cadre, ça fige, et s’il y a quelque chose qu’on ne peut pas figer, c’est bien la poésie. Rimbaud, c’est du mouvant, […] c’est celui qui décadre et décloisonne, […] c’est celui qui refuse qu’on le saisisse, au point qu’il abandonne la poésie pour le silence et l’errance. 

C’est déstabilisant, une photo de Rimbaud. A part peut-être ce fameux portrait quand il a dix-sept ans, […] avec sa gueule d’ange, sa tignasse romantique, ses yeux clairs un peu fuyants, c’est la photo qu’on nous impose sur toutes ces couvertures et c’est sans doute pour ça qu’il ne vieillit pas. Et plus je la vois, cette photo, et plus je me dis que ça ne lui ressemble pas. Quand même… il a l’air très sérieux pour ses dix-sept ans. 


Patty SMITH : 

C’est quand j’étudiais Modigliani que j’ai entendu parler de Rimbaud. J’ai lu dans un livre que le grand peintre adorait Rimbaud, et je me suis demandé qui il était. J’étais adolescente, j’étais à un arrêt de bus, et j’ai vu un exemplaire des Illuminations, avec une photographie de Carjat, cette photo était magnifique, une sorte de Bob Dylan en jeune, et je suis tombée amoureuse de lui, tout simplement. 



Le cercle du poète disparu


Article de Philibert Humm pour Paris-Match, août 2014




vendredi 13 juin 2014

Aléas iconographiques




L'excellent site d'informations rimbaldiennes de M. Alain Bardel est placé sous l'emblème d'un portrait de Rimbaud par Léger.




Ce dessin fut publié pour la première fois, en hors-texte couleur, dans le numéro spécial du centenaire de Rimbaud de la revue La Grive, dirigée par le grand rimbaldien que fut Jean-Paul Vaillant (n° 83, octobre 1954).



Mais à la page 33, en petits caractères, on lisait l'avis suivant :  

« La gouache en couleurs reproduite hors-texte et que nous croyions l’œuvre de Fernand Léger a été désavouée par celui-ci. La trouvant belle, nous souhaitons que l’artiste qui en est l’auteur se fasse connaître. »  


Etiemble s'empressera de relever cette bourde dans son immense catalogue des errements du culte rimbaldien (Le Mythe de Rimbaud - L'Année du centenaire, n° 3415-3416).




Le faussaire s'était contenté de créer une variante de l'un des portraits de Rimbaud créés par Léger à cette époque, peut-être celui qui figurait en frontispice de la célèbre édition illustrée des Illuminations, publiée en 1949. 

(Il vaudrait mieux d'ailleurs parler, plutôt que "portraits", d'évocations du visage de Rimbaud, puisque Léger travaillait à partir d'une reproduction de la photographie célèbre de Carjat, dans les très mauvaises versions accessibles à l'époque.)


Bibliothèque nationale des Pays-Bas (avec une intéressante notice, en français)


Les responsables de La Grive, informés qu'il s'agissait d'un faux, de la contrefaçon d'une oeuvre d'un peintre célèbre, et vivant, avaient choisi de publier quand même ce document. Ils en donnent eux-mêmes la raison : ils la trouvaient belle. Elle était fausse, mais plaisante, et méritait donc d'être diffusée. Elle était peut-être d'autant plus plaisante qu'elle montrait un visage plus maigre, plus viril que le Rimbaud joufflu de Léger (ce qui correspond à un vieil et étrange fantasme de certains rimbaldiens). 

Toute image et toute information erronée poursuit sa route ; elle ne peut être complètement effacée, même si elle est irréfutablement démentie, même s'il ne s'agissait à l'origine que d'une plaisanterie, à condition que cette image ou information vienne combler une attente, corresponde à un désir du public qui la reçoit.

Il est significatif que le faux Léger figure sur un site tenu par quelqu'un d'aussi informé et vigilant que M. Bardel. Il existe bien des pages Internet (à commencer par les notices consacrées à Rimbaud sur Wikipédia) et bien des couvertures de livres qui placent en exergue de telles images fausses, trafiquées ou très inexactes. Parfois par facilité, parfois à cause de la difficulté à accéder à une information fiable, parfois par malhonnêteté délibérée. Mais aussi, souvent, parce que le faux ou l'inexact arrange et plaît, parfois plus que la réalité. Bref, le fantasme de Rimbaud autrefois pourfendu par le justicier Etiemble semble toujours vivace...


* M. Bardel nous a fait l'amabilité de nous adresser une longue réponse, que nous reproduisons ci-dessous.



Livre publié en 2012




Cher Monsieur,



Je m’empresse de vous remercier pour votre billet concernant le portrait de Rimbaud qui orne la page d’accueil de mon site. J’ignorais absolument que ce fût un faux Léger. L’amusante anecdote que vous rapportez concernant la publication initiale de cette image dans la revue de Jean-Paul Vaillant, en 1954, m’était inconnue. Ainsi donc, il s’agit d’une contrefaçon et nous ne savons pas qui est le talentueux faussaire ! En ce qui me concerne, j’avoue que ce portrait m’a plu dès que je l’ai découvert, en 1991, en couverture de la revue Europe (n° 746-747, spécial Rimbaud). Il y était attribué à Fernand Léger et c’est ce que je croyais aussi depuis lors. C’est une erreur que, grâce à vous, je ne commettrai plus et je vais changer sur ce point les explications de mon site.


Une chose mérite malgré tout discussion, dans les commentaires dont vous assortissez cette information. C’est votre formule d’ « images fausses » ou encore l’amalgame consistant à écrire : « Toute image et toute information erronée poursuit sa route. » L’ « information » est erronée (cette image n’est pas de Léger) mais l’ « image », elle, ne l’est pas ! Le Rimbaud du faussaire n’est pas plus « faux » que celui de Léger lui-même. La variante qu’il propose n’est pas en soi plus « mythique » que 99% des « évocations » (c’est votre mot) que l’on a coutume de répertorier dans l’iconographie rimbaldienne. Et je n’en exclus pas même celles que nous devons à ses contemporains les plus intimes : songeons au Chérubin « qui s’y frotte s’y pique » de Forain, ou aux images d’Épinal (d’ailleurs fort « poétiques ») concoctées par Verlaine pour l’édition Vanier, en 1895. Le faux-Léger de La Grive est, comme vous le dites, assez représentatif du mythe Rimbaud : il offre une variante plus racée et plus fine du visage que le Léger authentique, le surlignement orange des yeux lui fait un regard halluciné, il semble  entouré d’un halo solaire, d’une sorte de soleil bleu, tout cela convoque le stéréotype du « voyant ».



Cette image a du charme et j’ai la faiblesse de partager sur ce point le goût de ses premiers éditeurs. Toutes raisons pour lesquelles je compte bien continuer à l’utiliser sur ma page d’accueil au même titre que celles des pochoiristes (Pignon-Ernest, Pedrô…), de Sonia Delaunay, de Léger lui-même (le vrai) ou d’autres, que j’y place par alternance depuis la création de mon site.

Ce qui est « significatif », donc, dans la présence de cette image sur la page d’accueil de mon site, ce n’est pas, comme vous le suggérez charitablement, la vulnérabilité au mythe en tant que « culte » (voire, la complaisance aux « images fausses, trafiquées ou très inexactes »).

Ce qui est significatif, et je le revendique, c’est le choix d’entrer dans Rimbaud par le mythe. On ne fait pas l’économie d’une confrontation avec « le mythe » dès qu’on aborde Rimbaud. Tout lecteur en est imprégné d’avance, et l’affabulation autour de la personnalité du poète émane d’ailleurs, dès l’origine, antérieurement à toute origine, du poète lui-même. Pour les textes, c’est, je crois, assez évident. Et, pour les images, Lefrère n’explique-t-il pas que le fameux Carjat, icône primordiale s’il en est, révèle à l’observateur attentif un Rimbaud pinçant sa lèvre inférieure pour enjoliver sa physionomie, au risque de nous dissimuler à tout jamais ce que vous appelez dans votre texte « la réalité » (« le faux ou l'inexact arrange et plaît, parfois plus que la réalité. ») ? Le mythe, d’ailleurs, n’est pas le mensonge et il y a du vrai dans telle formule à l’emporte pièce de Verlaine, Mallarmé, Claudel ou  Benjamin Fondane, comme dans tel portrait par Picasso ou par Valentine Hugo. Il s’y trouve une part de vérité ou, du moins, une forme d’éclairage subjectif qu’il n’est pas sans intérêt d’analyser pour la connaissance du poète, quitte à devoir la confronter aux textes. C’est pourquoi, au moment d’aborder Rimbaud avec mes élèves, j’ai souvent opté carrément pour partir du mythe (cf. mon cours intitulé Récital poétique, auquel je fais référence dans la rubrique « home » de mon site), laissant pour plus tard les indispensables exercices d’« hygiène des lettres » qu’Étiemble préconisait. C’est aussi pourquoi je trouvais (et je trouve) amusant de placer sur l’index du site un de ces Rimbaud de Léger, qui s’attirèrent récemment la qualification de « ringards » de la part de Jean-Jacques Lefrère, parlant de celui qui orne le coffret de la Pléiade Guyaux ("Une pléiade sans étoiles", La Quinzaine littéraire, mars 2009). Et, au fond, je ne suis pas mécontent, je trouve même assez drôle (on se divertit comme on peut) que cette image soit, en plus, un faux !

Cette disponibilité aux images du mythe, pour peu qu’elles aient un certain pouvoir d’évocation, voire une valeur artistique, ne nous dispense évidemment pas de vérifier la paternité des œuvres, ou la présence effective de Rimbaud sur les peintures, les photos,  que nous diffusons de lui. Je vous accorde que cela n’a pas toujours été fait scrupuleusement dans l’histoire du rimbaldisme. Jean-Paul Vaillant devait-il diffuser ce faux Léger dès lors qu’il en savait la signature  usurpée ? A-t-il signalé en trop petits caractères (si je vous lis bien) son caractère frauduleux ? Devait-il, aux yeux des grands principes, lancer cette contrefaçon, uniquement parce qu’il la trouvait belle ? Je ne sais… En tous cas, il eût été dommage pour nous qu’il ne le fît pas.

En vous remerciant de m’avoir donné l’occasion de ces éclaircissements, je vous prie d’agréer, cher Monsieur, mes plus cordiales salutations. 

A. Bardel, 13 juin 2014 

Notre commentaire : nous nous rejoindrons sans doute sur un point, déjà excellemment posé par Roland Barthes, en 1954 : "Est-il possible de rejeter dans le néant la consommation collective et socialisée de Rimbaud (...) ? Le problème n'est pas d'opposer le mythe à sa vérité, comme la maladie à la santé, seule compte la réalité générale de l'Histoire dans laquelle le mythe prend place".         






mercredi 28 mai 2014

Reproductions de référence des photographies de Rimbaud (3)


Nous avons enfin pu réaliser de bonnes reproductions des photographies d'Arthur Rimbaud découvertes dans les archives de Paul Claudel

Photo dite Carjat 1 (tirage d'époque, vers 1871 - ici sans le cadre)




Photo dite Carjat 2 (reproduction photographique, vers 1912, du tirage d'époque, aujourd'hui inconnu)

 


mardi 13 mai 2014

Actualités


Informations diverses

Réactions et commentaires à la découverte de photographies d'Arthur Rimbaud dans les archives de Paul Claudel :








Article de Grégoire Leménager dans Le Nouvel observateur


Entretien avec Serge Filippini, auteur de Rimbaldo, sur Decryptimages :



lundi 5 mai 2014

Découverte de documents originaux sur Rimbaud




Histoires littéraires / Indivision Paul Claudel


Communiqué : Découverte de documents originaux sur Rimbaud 



La revue Histoires littéraires publie dans sa dernière livraison (n° 57) deux articles de Jacques Desse* sur l’iconographie d’Arthur Rimbaud. L’un dresse l’inventaire des portraits de Rimbaud par sa sœur Isabelle, l’autre présente deux importants documents retrouvés dans les archives de Paul Claudel : 

Le premier est un tirage d’époque de l’un des deux portraits photographiques de Rimbaud réalisés par Carjat fin 1871. Cette photographie est, selon les témoignages des contemporains du jeune poète, la plus ressemblante de toutes. On en connaissait jusqu’ici deux épreuves d’époque : un révélé par une vente aux enchères en 1998 et un autre, en mauvais état, vendu par Sotheby’s en 2004. Ce troisième exemplaire est précieux puisque, selon les recherches de Jacques Desse, il n’a pas dû en être tiré à l’époque plus de trois ou quatre. Il provient directement de la famille Rimbaud : Isabelle Rimbaud, décédée en 1917, l’avait légué à Claudel. L’indivision Paul Claudel n’a pas l’intention de mettre en vente ce précieux document. 

© Indivision Paul Claudel



Le second document est la plus célèbre photographie de Rimbaud par Carjat, qui n’est connue qu’au travers de reproductions de copies faites vers 1900 et plus ou moins retouchées. L’original est aujourd’hui perdu et n’avait jamais été reproduit. Il s’avère que Claudel avait fait réaliser, vers 1912, une reproduction photographique de ce portrait, d’après l’exemplaire conservé dans la famille Rimbaud. Cette reproduction, de petit format et en noir et blanc, est à ce jour la plus fidèle de toutes celles qui existent. De plus, elle est la seule à montrer le carton sur lequel était monté le cliché ; il s’agit du même modèle que celui de la photographie précédente, employé par Carjat autour de 1871. Elle est restée inédite jusqu’à sa parution dans ce numéro d’Histoires littéraires.

 
 © Indivision Paul Claudel


Mise à jour :

- De meilleures reproductions ici

 - Réactions ici



* Jacques Desse est libraire d’ancien à Paris, co-découvreur de la photographie de Rimbaud à Aden publiée en 2010. Il a poursuivi depuis ses recherches sur l’iconographie de Rimbaud.

mercredi 30 avril 2014

Ce visage refermé sur soi


Parution de "Rimbaud, Celui-là qui créera Dieu" (Points / Le Seuil)

Dans sa préface, Stéphane Barsacq rapporte la réaction d'Yves Bonnefoi à la découverte de la photo de Rimbaud à Aden :

"Yves Bonnefoi, le plus libre, mais aussi le plus salubre légataire de l'esprit rimbaldien, a répondu à mes interrogations diverses : 'C'est très émouvant, cette photo en si grand contraste avec celle de Rimbaud adolescent : ce visage refermé sur soi de la vie vécue entretemps'. Ainsi, bien qu'ayant été retourné dans tous les sens, le champ critique reste-il ouvert, et les découvertes se poursuivent-elles : c'est la double preuve de la présence continue de Rimbaud."

Stéphane Barsacq revient sur cette photo dans un entretien publié sur le site Transfuge ("Rimbaud n'est pas un mythe") :

"- La photo de Rimbaud à Aden en 1880 vient d'être authentifiée. Que vous inspire ce visage méconnaissable ?"

"Je me souviens du 14 avril 2010, le jour où cette photo est apparue sur mon écran d'ordinateur pour la première fois. Ce fut une grande émotion. Il ne faisait aucun doute à qui sait voir que c'était bien là Rimbaud : Rimbaud après Rimbaud, certes, mais Rimbaud tout de même. En elle-même la photo est révélatrice : on le voit, perdu, au milieu d'êtres auxquels - aussi proche d'eux soit-il -, rien ne le rattache. Il est ailleurs comme il l'a toujours été, et comme il le fut au milieu des poètes parisiens. Ce que nous dit cette photo ? Un regard désespéré, un homme hébété : exactement ce qu'était devenu le plus grand poète après son départ au plus loin : au plus loin de soi, comme de la France, mais aussi de son espérance. On sait que cette photo a fait polémique pour des raisons assez absurdes. Elle cassait le mythe de l'adolescent éternel que la photo de Carjat a popularisé. Or, rien n'était plus nécessaire : Rimbaud n'est pas un mythe. C'est un homme de chair et de sang, un être qui a souffert, un poète qui a payé comptant : il voulait la vérité des choses au plus près de l'absolu, sans toutefois que l'absolu ne vienne à se substituer au monde tel qu'il est."




vendredi 18 avril 2014

Biométrique (suite)


Un article précis et informé de Thierry Savatier 

(Historien de l'art, auteur d'une passionnante enquête sur l'Origine du monde de Courbet)




mercredi 16 avril 2014

Rimbaldo




(Décidément !)



Sortie d'un roman inspiré par la photo de l'Hôtel de l'Univers :

"Rimbaldo", par Serge Filippini, aux éditions de la Table ronde.



"Serge Filippini imagine les deux heures qui mènent à la prise de vue. Il entrecroise les vies des six hommes et de la femme bientôt figés dans leur portrait de groupe. Qui sont-ils, ces commerçants et ces explorateurs ? Quelles obsessions, quels rêves les animent ?"