jeudi 17 février 2011

Le tombeau de Dutrieux

 Extrait de Jacky Legge, Le cimetière du sud à Tournai, 1995 
(obligeamment transmis par la bibliothèque de Tournai, et transporté par la poste belge en pleine grève)

Un nouveau document confirme que l'implantation et la forme de l'oreille de Dutrieux ne correspondent pas à celle du barbu d'Aden, pas plus que ses moustaches tombantes : le médaillon figurant sur son tombeau.

 Oreille de Révoil (vers 1881, cliché ici inversé), oreille du barbu d'Aden, oreille de Dutrieux

On sait qu'il existe un second portrait de Dutrieux. L’hypothèse Dutrieux repose sur la sidérante élimination de ce second portrait, forcément faux puisque « peu convaincant pour figurer sur la photographie d’Aden ». La gravure représentant Dutrieux publiée en 1886 représenterait en fait un autre explorateur belge, le docteur Maes !

J’étais donc à la recherche d’un portrait de Dutrieux et j’en trouvai un assez rapidement, un dessin, dans un ouvrage intitulé « De Zanzibar au lac Tanganyika »,  mais peu convaincant pour figurer sur la photographie d’Aden. Je m’apprêtais cependant à chercher  d’autres portraits lorsque je fus contacté il y a quelques temps par un chercheur indépendant qui avait suivi  le même raisonnement que moi et qui avait l’avantage d’avoir consulté à la Bibliothèque Nationale le portrait de Dutrieux, fort différent de celui que j’avais vu. En réalité, je me rendis compte à ce moment là qu’il y avait eu une erreur pour le dessin censé représenter Dutrieux qui n’est autre que celui du docteur Maes que l’on peut voir quelques pages avant [30 pages !] dans le même ouvrage ici. Faut-il le préciser ? C’est la photographie qui est authentique…

Rappelons que c’est ce raisonnement qui étaye l’idée de la présence de Dutrieux sur le cliché, SEUL ELEMENT CONCRET, présenté comme une "preuve", à partir duquel certains prétendent avoir réfuté définitivement la présence de Rimbaud sur la photo de l'Hôtel de l'Univers.

Or :

- Le portrait de Maes figure dans le seul livre qui lui est consacré, et qui est visible en ligne. Ce livre a été publié dès 1879, un an après la mort de Maes, par sa famille. C'est un barbu coiffé en arrière, mais à part cela, il ne ressemble guère à Dutrieux.

Maes (1879)  /   Maes (1886) 


- On retrouve le portrait de Dutrieux dans sa biographie par Jadot (1950) et dans l'Illustration congolaise  (1937) - reproduite ci-dessous. En bonne rigueur scientifique, ce portrait est donc beaucoup plus attesté que la photographie,  qui n'a pas à être mise en doute a priori, mais n'est identifiée que par une simple mention manuscrite au dos.




Le portrait gravé de Dutrieux est son portrait "officiel", le seul qui ait été publié, jusqu'à plus ample informé. Il a probablement été réalisé à partir d'une photographie prise en 1877 :  avant de partir pour de longs voyages qui allaient leur apporter la gloire ou la mort, les explorateurs faisaient réaliser leur portrait photographique. Dutrieux était alors âgé de 29 ans ; il semble qu'à cette date son front n'ait pas été très dégarni...

L’oreille de Dutrieux présente le même lobe étroit sur les trois portraits connus. Cette oreille n’a rien de commun avec le barbu d’Aden, ni avec celle de Maes.

Comme le disait un grand spécialiste, citant Maupassant un peu à contresens :



vendredi 11 février 2011

Les dévots et le dimanche

- Notre point de vue sur Le Monde.fr : Rimbaud et les dévots




- L'article de M. Pabst a été publié par la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le texte allemand présente quelques variantes avec la version française, il y est en particulier question d'un "Hobby-Rimbaldist", expression équivalente à "Rimbaldien du dimanche" : 


mardi 8 février 2011

UN MOURANT EN PLEINE FORME, bis


Ci-contre, un mourant présumé.

Cet homme serait un certain Dutrieux à Aden en novembre 1879. On sait que Dutrieux était alors en cours de rapatriement sanitaire, gravement affecté par son voyage d'un an en Afrique. 

Dans ces souvenirs (ci-dessous), Dutrieux raconte les circonstances de son bref séjour à Aden : 

"Après une huitaine de jours passés à l'infirmerie de la Mission française de Zanzibar, je m'embarquai, ou plutôt, l'on m'embarqua pour Aden [...]. Il me fallut plusieurs mois de repos, de soin et de changement d'air en Europe, pour me rétablir des rudes atteintes du paludisme [...]"



On sait que Dutrieux venait de passer un an et demi en voyage d'exploration, dans des conditions terribles, et qu'il avait été contraint par ses problèmes de santé de se faire rapatrier. 
On reconnait bien là l'homme ci-dessus !!!

Dutrieux, Souvenirs d'une exploration médicale dans l'Afrique intertropicale, 1885, p. 11
(ce volume se trouve à la BnF)

La presse de l'époque se fit d'ailleurs l'écho de cette étape de Dutrieux à Aden : 
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5567343t/f474.r=dutrieux.langFR

Trois mois après avoir quitté l'Afrique, il n'était pas rétabli, et lors de son passage à Paris la Société de géographie dut insister pour qu'il prenne la parole, "malgré l'état de sa santé" (L'Exploration, 1880). Enfin remis, il fit une cure d'un mois à Vichy, au printemps, avant de retourner en Egypte.

 
Dutrieux, qui se dit "mourant" lors de son passage à Aden, ne semble pas avoir été enclin à la complaisance quant à ses maux. Il raconte ainsi l'un des petits problèmes qu'il rencontra durant son voyage : remarquant qu'il avait une douzaine de furoncles sur une jambe, il ne s'en émut guère, jusqu'à ce qu'il remarque que les symptômes étaient curieux. Il  entrepris alors d'extraire lui-même les douze "vers du boeuf" qui s'étaient incrustés dans sa chair, et les étudia.

Dutrieux, « Note sur une affection cutanée parasitaire, observée dans l’Afrique orientale », 
Bulletin de la Société royale de géographie d’Anvers, 1879, p. 51-55
 

Rimbaud ou pas Rimbaud ?

Rimbaud ou pas Rimbaud ? 

Le point de vue de Jean-Jacques Lefrère, 

sur L'Express.fr

samedi 5 février 2011

"A l'ouest d'Aden"


M. Reinhard Pabst, le "détective littéraire" qui a déjà découvert la présence de Suel sur la photo, a mis la main sur un document intéressant : une lettre autographe de Dutrieux datée du 16 août 1880... Elle est envoyée de Siout (Assiout) en Egypte. 

Cela confirme que Dutrieux était bien revenu dans la région à l'été 1880, ce qu'avait omis d'indiquer "l'inventeur" de Dutrieux, mais suggère qu'il est peu probable que Dutrieux soit allé à Aden ce même mois (ce qui  est une bonne raison pour ne pas figurer sur la photo de l'Hôtel de l'Univers en août 1880 !). 

M. Pabst annonce qu'il publiera prochainement ce document dans un article du Frankfurter Allgemeine  Zeitung. La version française de son texte, joliment intitulée "À l'ouest d'Aden", est accessible sur son site www.literaturdetektiv.de .

Malheureusement, M. Pabst, comme les autres personnes qui nous reprochent à grands  cris la légèreté présumée de notre identification, a tendance à confondre hypothèse et certitude, piste de recherche et preuve irréfutable : l'identification de Suel est fort probable, elle n'a rien d'absolument "certaine" ; celle de Dutrieux encore moins ; dire que Rimbaud est arrivé "à la mi-août 1880" puis "au plus tôt à la mi-août 1880" relève de la profession de foi plus que de la vérité historique. Dans son premier article  M. Pabst indiquait d'ailleurs que Rimbaud était arrivé "en août 1880" : est-ce que des éléments nouveaux lui permettent de préciser cette date ? (Ou s'agit-il seulement de bloquer l'hypothèse d'un passage éventuel de Dutrieux à Aden début août ?).

Passons sur tous les éléments contradictoires ou incohérents avec la thèse d'une photo de novembre 1879 où figurerait Dutrieux, qui repose uniquement sur la ressemblance avec le barbu, à partir d'une seule photo :

- Dutrieux en piteux état physique ("mourant", selon la propre expression de Dutrieux, qui, ne l'oublions pas, était médecin)
- Des caractéristiques physiques qui ne correspondent pas au barbu d'Aden (implantation et forme de l'oreille, pilosité, etc.)
- Présence de la femme enceinte, de l'homme qui la regarde, de Riès, du jeune moustachu ; usage du gélatino-bromure d'argent, etc.

La lettre à laquelle M. Pabst se réfère  réfuterait sans appel la possibilité de la présence de Rimbaud sur la photo ("écartant ainsi définitivement Rimbaud de la terrasse de l'hôtel de l'Univers", s'empresse de publier une personne qui se proclame objective). On pourrait s'attendre à ce qu'un document d'une telle importance soit  reproduit - ce que M. Pabst a omis de faire pour l'instant, se contentant d'en citer la première ligne (1). 

On avance des conclusions définitives sans commencer par présenter la "preuve", comme si ce qui comptait surtout était d'hurler au loup et "d'écarter" ou "chasser" Rimbaud de cette photo. Dommage que cette espèce de chasse à l'homme prenne le pas sur la recherche historique, alors qu'un chercheur aussi affuté que M. Pabst pourrait certainement apporter des contributions passionnantes dans cette enquête où de nombreuses pistes restent à explorer (2).


(1) M. Pabst a depuis reproduit le début de la lettre. Elle est datée du "16 août", l'année a été rajoutée au crayon (ce qui aurait  mérité d'être précisé). Le contenu montre qu'il s'agit bien d'août 1880, époque à laquelle Dutrieux avait rejoint la mission de lutte contre le trafic d'esclaves du comte Sala.


(2) Entre autres celle de la preuve confirmant que Dutrieux ne figure pas sur la photo d'Aden, tâche difficile mais non impossible !







vendredi 4 février 2011

DROIT DE REPONSE


Nous sommes actuellement confrontés à une campagne de dénigrement systématique menée par un aréopage rassemblant un personnage au ton péremptoire, devenu pour l’occasion « expert » et « spécialiste » de Rimbaud (alors qu'il n'a jamais publié le moindre livre sur le poète), les cinq ou six contributeurs subsistants de ce qui fut un forum de discussion (l’un allant jusqu'à se réjouir que la porte de notre librairie ait été maculée une nuit), et deux éditorialistes pratiquant systématiquement la polémique gratuite, du moment qu’elle est à contre-courant, MM. Moix et Korkos. Ce dernier est intervenu sur le site Arrêt sur images, dans un article digne d’un tabloïd anglais, qui nous met gravement en cause, et qui est injurieux et diffamatoire à l’égard du biographe de référence de Rimbaud. Le responsable de cette publication, Daniel Schneidermann, a choisi de reproduire quatre lignes du droit de réponse que nous lui avons adressé (ce qui paraît bien loin de l’esprit du regretté « Arrêt sur images »). Le voici dans son intégralité.


DROIT DE REPONSE

Dans un « vite dit », Alain Korkos affirme que « Rimbaud n'est pas Rimbaud », la photo d'Aden ayant selon lui été prise en novembre 1879, avant que Rimbaud n'arrive sur les bords de la Mer Rouge. Il se trouve que c'est très très vite dit.

M. Korkos s'appuie sur la présence présumée d'un certain docteur Dutrieux, qui ne se serait pas trouvé à Aden en même temps que Rimbaud, et de l'explorateur Lucereau (ce Lucereau a déjà été l'occasion d'un « dérapage » de certains médias en septembre dernier, jusqu'à ce que publiions la preuve matérielle qu’il était à Aden en même temps que Rimbaud : une lettre provenant des archives du ministère des Affaires étrangères).

Dutrieux a été reconnu par certains, à partir d'une seule photo le représentant, comme étant le premier barbu. Les mêmes soutenaient il y a quelques mois que cet homme était Bardey, l'employeur de Rimbaud. Il nous paraît évident que ce n'est pas lui (il faudrait par exemple que cet homme ait changé d'oreille...). Il faudrait aussi savoir comment Dutrieux, « mourant » et en cours de rapatriement sanitaire lors de son passage à Aden peut se trouver sur la photo replet et en costume de ville.

Cette affirmation contredit tous les faits qui ont été établis à propos de ce cliché : l'usage d'une technique photographique ultra-moderne, le gélatino-bromure d'argent, attesté en août 1880 à Aden, mais certes pas en novembre 1879.  La présence d'une Européenne enceinte, également attestée en août 1880, et fort improbable en 1879, etc. Dans les premiers jours, on nous a accusé d’avoir produit un « faux », plus personne aujourd’hui ne conteste que le cliché a été pris sur le perron du fameux Hôtel de l'Univers, et l'on sait maintenant que c'est le patron de l'hôtel - et futur associé de Rimbaud - qui trône au milieu du groupe. Depuis huit mois, personne n'a été capable de mettre un autre nom sur l'étrange jeune homme aux yeux très clairs assis près de Suel. Il faudrait d'ailleurs qu'il présente la même marque que Rimbaud, dite « pathognomonique » (« absolument spécifique ») par les médecins : une dissymétrie de la lèvre supérieure, qui apparaît comme un manque, en-dessous de la narine gauche...

Que M. Korkos estime que cet homme n’est pas Rimbaud, c’est son affaire, mais il n'a pas le droit de proclamer, comme il le fait, qu'il existerait une preuve du contraire. Le 17 avril dernier, deux jours après la publication de cette image, M. Korkos avait déjà affirmé être absolument certain que Rimbaud ne figure pas sur cette photo (libre à lui d'avoir cette intime conviction), et qu'il en détenait « la preuve » (ce qui était un mensonge). De tels propos, qui passent délibérément sous silence les doutes, et les objections des autres, relèvent plus de la propagande que de l'information. Cela ne surprend guère quand c'est M. Moix qui les tient, cela nous choque profondément venant d'Arrêt sur images, dont la vocation semblait être de décrypter des errements des médias, plutôt que de colporter des humeurs qui ne sont que des rumeurs mal intentionnées.


mardi 1 février 2011

L'oreille et les doctes

L'historien de la photographie André Gunthert donne son point de vue, principalement à partir d'une analyse technique du cliché : 



A propos de docte ressemblance, nous sommes si peu convaincus par l'hypothèse de la présence de Pierre Dutrieux sur la photo de Rimbaud à Aden que nous avions oublié de publier une comparaison, celle des oreilles... Elle est pourtant instructive.



 Oreille du barbu d'Aden



Oreille de Georges Révoil
(l’oreille est large, irrégulière, assez décollée en haut)

 Oreille de Dutrieux
(le lobe est étroit, l’oreille assez petite, plate et allongée, d’un dessin harmonieux)

Comparaison Révoil / Aden / Dutrieux 

L'oreille de Révoil pourrait correspondre à celle du barbu, en revanche celle de Dutrieux paraît être placée plus bas (voir le coin des yeux), plus petite et plus allongée, même en tenant compte de l'angle légèrement différent de la prise de vue. On remarquera aussi que la barbe de Dutrieux paraît monter moins haut sur la joue.